Saint-Jean-de-Luz : le parfum du thé de l’Infante

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La Luzienne Marion Costero, nez au Brésil, a proposé au torréfacteur de la Maison Deuza de tenter une expérience inédite : créer un thé comme un parfum.
 

Un nez.

Marion Costero, luzienne du bout de la Terre au rarissime métier de parfumeur. Un palais. Peio Elgorriaga, artisan torréfacteur ancré à deux pas de la baie, repreneur de la séculaire Maison Deuza. Et puis une suggestion à la mine saugrenue lancée au commerçant par cette épisodique cliente : « Et si on composait un thé à la manière dont on fait un parfum » ?

Fruit de l’atypique proposition, le mélange unique, signé par la pro des senteurs, est sorti en décembre. Le duo s’est pris au jeu. Ce premier né, baptisé « Thé de l’Infante », entame une série à venir, la « Collection rare ». Les savoir-faire de deux univers étanches se mêlent. Du jamais vu chez les assembleurs de thé. Encore moins dans le sérail des parfumeurs.
 
La créatrice, recrue de la branche brésilienne du très sélect géant international du parfum, Givaudan, n’a en tout cas jamais eu vent d’une telle expérience (lire par ailleurs)
 

Pas de thé au Brésil

L’envie taraudait l’expatriée amatrice d’infusions à chaque retour semestriel, à chaque passage dans l’antre devenu incontournable de la Maison Deuza, rue Garat. Et pour cause, « au Brésil, on ne boit pas de thé, ça ne fait pas du tout partie des habitudes culturelles. Donc forcément, quand je reviens, je prends une cargaison pour six mois. »
 
De quoi se faire repérer par le commerçant. « J’avais bien sûr compris dans la conversation qu’elle vivait à l’étranger, mais nous n’avions jamais échangé plus que ça. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle y faisait », se souvient Peio Elgorriaga.
 
Jusqu’à ce que Marion Costero se lance, cet été. Surpris mais séduit, l’artisan n’hésite pas longtemps. Jeune dans le métier, il vient alors tout juste de reprendre les rênes de l’entreprise (lire par ailleurs). « Se démarquer, être créatif, c’était tout à fait dans notre esprit. Et puis, la démarche était vraiment sympa », glisse-t-il.
 
Difficile de ne pas saisir l’aubaine de la rencontre improbable, dans une petite ville comme Saint-Jean-de-Luz, d’une personne qui exerce l’éminent et singulier métier de parfumeur en Amérique du sud et veut tenter de fabriquer un thé.
 

Le goût et l’odeur

Intrigué autant qu’enthousiaste, il sera le goût. Elle sera l’odorat. Ils s’attellent à la tâche, testent, rectifient, reprennent, affinent, tâtonnent. « Je suis partie de cinq idées de base différentes. Certaines ont été développées jusqu’à un certain point puis mises de côté, d’autres ont été travaillées plus avant. Au final, on a développé 25 à 30 versions avant d’aboutir à la version finale », décrit Marion Costero.

En une semaine elle est ficelée : thé noir, mûre sauvage, caramel, vanille, violette, pamplemousse et fruit de la passion. « Nous étions vraiment dans un partenariat », insiste-t-elle. Indispensable pour un résultat équilibré et cohérent, à la fois du point de vue de l’odeur et du goût. Les deux ne sont pas forcément compatibles : « Ça aurait pu sentir bon, et n’être pas bon. »
 
Son acolyte ouvre le gros pot, le tend. La créatrice, elle, démêle les arômes. « En tête, on sent plutôt la passion et le pamplemousse, avec un peu de caramel. En tasse, c’est plutôt violette et mûre. » En tout cas, assure Peio Elgorriaga, « ça ne ressemble vraiment à rien d’autre. » De quoi douter du succès de ce thé-test.
 

Le numéro 2 en route

À tort. « En fait, confie l’artisan, je n’en ai pas préparé beaucoup, et surtout pas assez. C’est fou, il est sorti en décembre et s’est écoulé à une vitesse inattendue. Il plaît énormément. Peut-être parce que c’est le thé d’une Luzienne, la jonction de deux artisans et que son nom parle aux gens d’ici », tente-t-il d’expliquer. Derrière lui, Marion Costero, saisit à pleines mains les boîtes métalliques hermétiques et s’installe devant la balance.

La boutique est fermée mais un couple attiré par la lumière s’enhardit à passer une tête dans l’embrasure de la porte : « Bonjour, c’est ouvert ? On voudrait du thé de l’Infante. Il vous en reste ? » Amusant hasard.
 
À croire que Peio Elgorriaga les a soudoyés pour se prêter à cette saynète. En riant, le maître des lieux jure que non. Ils devront repasser à l’ouverture. Promis, il leur réserve les deux derniers paquets. Sans en avoir conscience, ces clients viennent d’entrapercevoir un moment rare.
 
Au comptoir patiné, le nez est en train de façonner presque feuille à feuille, de pincée en pincée, le second chapitre de la « Collection rare ». Elle griffonne sur son petit carnet, compare deux versions, fait comparer. Entre boîte jaune et boîte violette, le binôme s’interroge. « Je trouve celle-là plus texturée », montre Peio Elgorriaga. Marion Costero acquiesce, prend des notes.
« L’Infante est féminin, acidulé, il rappelle les riches étoffes, le velours. Pour ce second thé, l’idée est de créer quelque chose de très différent. Ce sera plus pétillant, plus joyeux », promet l’artiste. En cet après-midi d’hiver, le duo pense avoir trouvé sa base. « Là, c’est la version numéro trois », indique le torréfacteur.
 
L’un et l’autre n’en diront pas beaucoup plus cette fois. Mais le travail est depuis achevé. Avant de s’envoler de nouveau ce soir pour São Paulo, Marion Costero a laissé à Peio Elgorriaga la recette finale. À découvrir dans quelques semaines.
 

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